Poésie ouverte

De Ce n'est pas la mer ( 1935 ), où déjà se fait entendre une voix habitée ( "Parfois les ténèbres s'oublient / et l'on voit comme en plein jour / les émigrés de terre qui sourient / sur le bateau des grands détours " ) aux poèmes de Poésie-Journal qui s'articulent autour de l'actualité des mois de juin à décembre 1968 et reprennent l'histoire du poète ( " depuis le temps que je nie la mort / sur les hauts plateaux de la poésie et de la mer... ) , en passant par les poèmes engagés - dans la foi, dans l'action - du temps de la guerre et de la déportation ( Miroir de la Rédemption, poèmes de la nuit et du brouillard) ou l'humour tendre du Petit Bestiaire de poche, la poésie de Cayrol, comme ses romans, offre une infinie diversité. Mais, s'il ne refait jamais 2 fois le même livre, Cayrol, cependant, est toujours reconnaissable. Son regard - à la fois lucide et reconnaissant - l'attention passionnée qu'il porte aux choses, aux êtres, à l'évidence et au mystère de leur présence, son souci de dire ce qui est, de déployer ensemble dans son écriture le texte même de la vie et les secrets du langage, fondent la cohérence de son oeuvre.

MIROIR DE L'HOMME

[...] Le Fruit souverain, pain brûlant de la lune

passera de bouche en bouche dans la bataille déjà vide

Fruit de poussière et de sueur

Fruit du dessous de la pierre, Fruit mou et livide

toutes les mains l'ont recueilli mais aucune ne l'a cueilli.

La terre rêve affreusement en lui

dans ce sachet de haine, dans cette cicatrice florissante

Fruit du dernier regard, Fruit perce-Dieu

dans le suintement éternel du péché,

quand la plaie même s'estompe comme une vallée défendue [...]

Jean Cayrol

( 1911-2005 )

"Poètes d'aujourd'hui/Seghers