La peine en perles de souvenirs: Bénédicte Destouches

Publié le 22/12/2020 à 13:12 par poeguy Tags : sur coeur fleurs

La veuve

 

1

 

Ma veuve,

Comme tu étais longue pour les matins de mes neuf ans !

Je n'osais te parler ni te toucher dans l'ombre,

Le lait brûlait, la dentelle me coupait les doigts

Le soleil s'attardait aux angles de la chambre.

 

Le ciel s'amusait en silence

J'enviais la lenteur sombre de tous tes gestes.

J'aurais couru si tu n'avais plus été là,

Jusqu'aux bateaux, le long des môles, j'aurais couru

Veuve battue aux vents en haut des proues.

 

2

 

Tu revenais des buissons de septembre,

Pleine de feuilles, le pas épais comme un vieux drap

Tu cousais de fil blanc le cours des fleuves,

Retardais l'heure pour les flâneurs.

 

Je t'imagine toujours telle que tu te levas

Avec toi se leva

une promesse de contre-jour.

La chambre haute est pour longtemps

Fermée sur ses mystères, météorite,

 

Il neige encore sur ton sommeil parmi les guêpes.

 

3

 

Longtemps, le temps, ton front contre la vitre

S'il pleut, s'il pleure, quelle importance ?

 

Les chemins, des chiens y dansent,

 

Ton cœur est plein de transhumances.

 

4

 

Ma veuve, sache que les bruyères

Malgré le faste de leurs frelons

Ne chantent pas si bien que toi

Entre le sommeil et l'oubli

 

Depuis que tu ressembles à ce long ciel qui se déplie.

 

5

 

L'opium de mon ennui ne fait pas de fleurs rouges

Les rues sont toutes blanches comme des insomnies

La fatigue y rend bleus les yeux des petites filles

 

Tu parles seule dans le fouillis, le long des rives

Les églises aujourd'hui

Sont des machines vides.

 

Je rentre avec les autres dans des lieux isolés

J'y cache des os, de petites choses

 

Chaque matin a ses amandes, ses vases clos,

 

Les heures n'ont pas changé de cible

Depuis toujours.

 

Bénédicte Destouches

revue "Grèges" n° 4