L'exil, par tout le corps: Emmanuelle Le Cam

Publié le 30/11/2020 à 11:11 par poeguy Tags : automne sur base vie monde soi papier nuit

Chronique de l'exil.

 

1. On écrit d'ailleurs. par-delà soi. Sans mots presque. Sans souffle. Et sans patience. Dans la lumière creuse qui se dévide jusqu'à ne plus reconnaître ce qu'elle dit.

 

On se laisse prendre par la main. L'esprit du moment se charge de nos doigts. Il s'offre de nous conduire. 

L'abandon qu'il nous suggère serait cette base de possibles sur laquelle construire des prolongements d'absence.

 

3. L'ombre insiste sur quelques objets de la pièce. Arqués contre la nuit qui leur arrive, ils ne retiennent que peu de présence. Ils se révèlent faillibles, à force d'être tellement au monde, tout le jour.

Nos corps, en tous points semblables au bous et au plastique, déréalisés, et ténus, s'annulent.

 

A écrire si loin de soi, on invente un visage qui nous ressemblerait peut-être, si nous n'étions si comédiens.

 

Ecrire. Repousser la peau de la vie sous le papier. Y incruster ses rondeurs en contre-jour. Le monde nous souffle dans le cou, il griffe notre dos flapi. C'est lui qui nous plombe la moelle, lui encore qui nous attend entre des draps insomniaques. Calant ses os contre les nôtres il se fait tout bas, tout noir, et tout petit-écrasant d'influence paradoxale, jouant des coudes et jouant  de ses prérogatives, quand bien même on le réduirait à une portion fine. 

En pourcentage de réel, vivre affiche tellement moins qu'écrire.

 

6. Sous la couverture on transpire notre graisse humaine. Les yeux fermés, sans papier, on écrit encore, accoudé à l'automne déjà froid ( il y avait 6 degrés au thermomètre du jardin ce soir ). On écrit sans mouvement et sans bruit, au plus près de la chair - Le crayon viendra après.

Quelles que soient les histoires que diront les feuillets du lendemain, on n'y trouvera jamais témoignage que de soi-même.

 

Emmanuelle Le Cam

revue "Intervention à Haute Voix" n° 27