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Rechercher Derniers commentairesavec un peu de retard, merci beaucoup. http://poeguy. centerblog.net
Par poeguy, le 29.05.2023
merci beaucoup. http://poeguy. centerblog.net
Par poeguy, le 29.05.2023
magnifique, très bon choix !
Par Anonyme, le 03.05.2023
magnifique
Par Anonyme, le 10.04.2022
bonjour,
oui, j'ai croisé l'écriture de gérard dans quelques revues comme décharge, comme ça et autrement,..e
Par poeguy, le 03.03.2021
· L'amour des roses: Guillaume Apollinaire
· la fonte des masques: Guy Pique
· Gentil-Bernard
· poésie partout
· Un murmure d'entre les neiges: Anne Hébert
· Un bon copain: Robert Desnos
· André Breton
· Lumière sur les moins que choses: Francis Ponge
· Stéphane Mallarmé
· L'exil, par tout le corps: Emmanuelle Le Cam
· La peine en perles de souvenirs: Bénédicte Destouches
· L'écriture au ras des doigts frémissant: Valérie Rouzeau
· Approche d'une fleur, Anita Endrezze
· Contrepoint : Mahmoud Darwich
· Invitez-moi à passer au soleil: Joyce Mansour
Date de création : 21.10.2020
Dernière mise à jour :
03.02.2025
619 articles
Lettre d’un poète à un monsieur
A votre honorée lettre, Monsieur, que j’ai trouvée ce soir, sur la table ; et dans laquelle vous me demandez de vous indiquer la date et le lieu où vous pourriez faire ma connaissance, il me faut répondre que je ne sais trop que vous dire. Plus d’un scrupule s’élève en moi car je suis quelqu’un ; devez-vous savoir, qui ne vaut pas la peine d’être connu. Je manque totalement de politesse et mes manières sont à peu près inexistantes. Vous donner l’occasion de me voir serait vous faire rencontrer un homme qui découpe aux ciseaux la moitié du bord de ses chapeaux de feutre pour leur donner un aspect plus dépenaillé. Voudriez-vous avoir sous les yeux un pareil original ? Votre aimable lettre m’a fait très plaisir. Mais vous vous trompez en me l’adressant. Je ne suis pas de ceux qui méritent de recevoir ces sortes de politesses. Je vous en prie : renoncez dès à présent à votre souhait de faire ma connaissance. Le ton affable me sied mal. Je serais obligé d’afficher à votre endroit une affabilité d’emprunt ; et c’est ce que je voudrais éviter car je sais que je porte mal l’habit des belles manières et des bonnes façons. Et puis je n’aime guère à être affable : cela m’ennuie. Je suppose que vous avez une femme, que votre femme est élégante et qu’il y a chez vous comme un salon. Qui utilise des expressions aussi belles et raffinées que les vôtres, celui-là a certainement un salon. Moi, je ne suis homme que dans les rues, dans les bois et les champs, à l’auberge et dans mon logis ; dans le salon de qui que ce soit, je ferais figure d’empêtré. Je n’ai jamais mis les pieds dans un salon, cette idée m’effraie ; en homme raisonnable et sensé, je dois éviter ce qui m’effraie. Vous voyez, je suis sincère. Vous êtes probablement un homme cossu et vous faîtes sonner des mots cossus. Pour ma part, je suis pauvre et tout ce que je dis rend le son de la pauvreté. Soit vous me heurteriez avec vos formes accoutumées, soit je vous heurterais avec les miennes. Vous n’imaginez pas combien sincèrement j’affectionne mon état, la vie que je mène. Tout pauvre que je suis, il ne m’est jusqu’à ce jour venu à l’idée de m’en plaindre ; au contraire : j’apprécie si hautement ce qui m’entoure que je m’efforce sans cesse de le préserver.
J’habite une vieille maison délabrée, une sorte de masure. Mais cela me rend heureux. La vue de pauvres gens et de maisons misérables me rend heureux ; pour autant j’imagine fort bien le peu de raison que vous avez de avez de comprendre ces choses. J’ai besoin autour de moi d’une certaine pesanteur, d’une certaine masse de délabrement, de ruine et d’abandon ; sinon j’ai du mal à respirer. Ma vie deviendrait un tourment si je devais être décent, distingué, élégant. L’élégance est mon ennemie et je me lancerais plutôt dans un jeûne de trois jours que de m’empêtrer dans la hasardeuses entreprise d’esquisser une courbette. Ce n’est pas là, Monsieur, l’orgueil qui parle mais un sens très développé de l’harmonie et de mes aises. Pourquoi devrais-je être ce que je suis pas et renoncer à être ce que je suis ? Ce serait de la sottise. Si je suis ce que je suis, je m’en contente ;alors, pas de discordance, autour de moi, tout est bien. Voyez-vous, les choses sont telles qu’un costume meuf suffit à me contrarier, à me rendre malheureux ; j’en déduis que de la même façon que je déteste tout ce qui est beau, neuf et décent, dela même façon j’aime tout ce qui est vieux, élimé, usagé. Je n’ai pas spécialement de goût pour la vermine ; je n’irais pas précisément jusqu’à manger des petites bêtes, pourtant les petites bêtes ne me dérangent pas. Dans la maison où j’habite, cela grouille de vermine et pourtant j’aime vivre dans cette maison. La maison ressemble à faire peur à un repaire de brigands. Quand tout sera neuf et en état dans le monde, je n’aurai plus envie de vivre, ce jour-là je me supprimerai. Il y a une chose que je redoute carrément dans l’idée d’avoir à faire al connaissance d’une personne d’éducation, de distinction. Si je crains de ne faire que vous embarrasser et de ne pas vous être du moindre agrément, je n’en crains pas moins vivement, du moindre rafraîchissement, je n’en crains pas moins vivement l’éventualité inverse, à savoir ( pour être totalement sincère ) que vous, aussi bien, puissiez me déranger et ne pas m’être agréable, ni plaisant.
Il y a une âme dans la condition de tout être humain ; or vous devez absolument savoir, et je tiens absolument à vous le dire : j’apprécie hautement ce que je suis, si chétif et pauvre cela fût-il. Je tiens l’envie pour stupide. L’envie est une sorte de monomanie. Que chacun respecte la situation où il est : c’est le meilleur service à rendre à tous. En outre je redoute l’influence que vous pourriez exercer sur moi ; autrement dit, je crains l’inutile surcroît de travail intérieur qu’il me faudrait fournir pour e garder de votre influence. C’est pourquoi je ne cours pas après les gens à connaître, je n’en ai pas les moyens. Faire une nouvelle connaissance ; c’est toujours à tout le moins une dose de travail, or, comme je me suis déjà permis de vous le dire, j’aime mes aises. Qu’allez-vous penser de moi ? Cela, en tout état de cause, doit m’être indifférent. Je tiens à ce que cela me soit indifférent. Je n’ai pas non plus l’intention de vous demander de me pardonner ce langage. Cela serait pure phrase. On est toujours irrévérencieux quand on dit al vérité. J’aime les étoiles et l’astre lunaire est mon secret ami. Le ciel est au-dessus de moi. Tant que vivrai, je ne perdrai pas l’habitude d’élever mon regard vers lui. J’ai les pieds sur terre : elle est mon point d’appui. Les heures plaisantent avec moi, et moi avec elles. Je ne saurais imaginer plus précieux commerce . Le jour et la nuit sont toute ma société. Je suis à tu et à toi avec le soir et le matin. Et là-dessus, avec ses amitiés, vous salue
Le jeune poète pauvre.
Robert Walser
« Petits textes poétiques »
Gallimard
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