Poésie ouverte

Inventeur de mots, inventeur de monde, qu'il décrit avec une précision perverse et savoureuse, d'ethnologue, d'entomologiste, de tératologue, voyageur étrangement éveillé jusque dans les songes et les paradis artificiels, tel est Henri Michaux, né en Belgique, et don le visage comme la vie, est à découvrir en miroir dans ses textes. Contemporain du surréalisme, s'aventurant sur les territoires ordinaires de celui-ci, l'imaginaire et l'inconscient, il poursuivit néanmoins une démarche solitaire. D'abord de Qui je fus ( 1927 ) à Face aux verrous ( 1954 ), Michaux fut le créateur d'un monde imaginaire, décalque absurde ou parodie inquiétante du nôtre, et où tantôt le langage, tantôt les phénomènes naturels et les comportements humains se dérèglent selon une logique fascinante, qui pour être celle du non-sens et de l'humour, n'en prend pas moins ses prémisses dans la réalité.

LE GRAND COMBAT

Il l'emparouille et l'endosque contre terre;

Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle;

Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais;

Il le tocarde et le marmine,

Le manage rape à ri et ripe à ra.

Enfin il l'écorcobalisse.

L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.

C'en sera bientôt fini de lui;

Il se reprise et s'emmargine...mais en vain

Le cerceau tombe qui a tant roulé.

Abrah ! Abrah ! Abrah !

Le pied a failli !

Le bras a cassé !

Le sang a coulé !

Fouille, fouille, fouille,

Dans la marmite de son ventre est un grand secret

Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;

On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne

Et on vous regarde

On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

( Qui je fus )

Henri Michaux ( 1899 - 1984 )

Qui je fus, la nuit remue, Plume précédé de Lointain intérieur, Epreuves, Exorcismes/ Gallimard