la vie en corps avec des morts de mots: Gabriella Sterne

Publié le 23/10/2020 à 09:56 par poeguy Tags : mort sur plat place homme chez fond papier air nuit

Vertébral ( extraits )

 

.ainsi y avait-il vide une place aux angles fins

 

j'y faisais des diagonales régulières

de long en large

des pas pour compter

pour compter combien

faire un compte juste de jours commencés

quand les autres journées

ne peuvent plus l'être ne peuvent pas

commencer

ce fut comment

noir

entièrement

dans un bol d'opacité

ce fut comment

le jour du début des manteaux

quand ils recouvrirent les enveloppes de peaux

et d'os

remplirent

- quand je passe

comment ces têtes chez elles

furent-elles retournées

je ne sais pas

je ne sais pas comment

le dire sinon qu'alors elles s'étaient tournées

dans un dernier geste de sommeil

sur le côté

que c'était le jour

qu'elles avaient eu ce geste

qu'il fût le même

à tourner le corps sur lui-même sur

quel pivot tournaient les côtes

dans le vif basculement roulèrent

les corps

à tourner le corps sur lui-même

ils se tournèrent

sur le côté noir du mur

où il n'y eut jamais personne

sur le côté du mur où tout

était déserté depuis le début

et tombèrent

sans oublier

 

les chapeaux mous de feutre

collés sur les oreilles les cabans longs

le costume bien plié sur les cintres

tombèrent nets

dans le pli ensommeillé d'un jour

 

dans la vertébrale

 

- pendus

ils pendaient

en sorte que

qu'ils furent allongés ne comptait plus

ils pendaient si nettement

mais à l'envers

si bien qu'on les croyait couchés

qu'il me suffisait de renverser les yeux

de 45°

pour voir

qu'ils n'avaient jamais fait que pendre allongés et nuls

sans personne pour y être

je me rappelais quelles études

successives pisanello fit

de pendus de pieds tordus

à bout de corde à bout de nerf

trempé dans le fond

et derrière la foule

quand ils s'enfoncèrent un chapeau de feutre

et parlaient de se confondre aux hommes qui pendent

qu'ils ne seraient pas

pas plus qu'ils n'existaient

en dehors des têtes conductrices

ils ne faisaient que grincer des dents

toute la nuit sans personne

avant que je me couche

en long tout le long de leur corps

 

avant que je ne leur parle à voix basse

je ne savais pas

mais passai

 

je passai l'ombre au fil de la gorge

 

au fond je ne savais quel

je ne savais où

- et maintenant

me voilà à côté d'eux

tout contre comme jamais

je ne pus l'entendre

à côté de corps étrangers

que je ne respire pas

comme l'air qu'ils font

ne le respire pas

mais j'ai fait ce trajet

du jour où je commence au fond de leurs sommeils

d'airs et d'ongles noirs j'ai fait ce trajet

vers la voix nulle pour que la voix

ricoche

pour rien

 

mais ricoche contre des blocs de corps

pour cela 

je m'y suis mis

 

doucement m'y suis

immiscé

m'y suis mis bien à plat

pour commencer une sorte de langue

 

- mais l'air fait une fine pellicule

et ils n'entendent pas

 

. aussi je suis resté ainsi

longtemps

comme je restai longtemps

dans la voix murmurée

à dire des paroles fines

en papier cristal

en filet d'ongles

et en y restant ainsi aussi longtemps que je pus

le rester

murmurer des choses pleines d'air

 

aussi léger que je pus

faire

glisser de quelques passes

- mais si je dus passer

c'est dans le mort

les articulations- le gel massif

la fine transparence des cartilages

avec de tout petits bouts d'os discrets / secs / cassants

de même dans le mort il y a la plate-forme de l'homme

le sommeil des traces de fonds

de même les battements de la peau tendue

passent

dans l'homme maigre

 

et je descends

je m'y perds semble-t-il que c'est le noir

l'envahissement de noirs épais de caves

où n'entendre plus

le bruit de la corde ou

le fil de Nylon vert menthe

au bout des mains semble-t-il la corde

lasse la tresse semble-t-il

qu'il y faut descendre qu'elle ne lâche pas

 

et tomber au moins

une fois

 

quel jour tomber

 

Gabriella Sterne

revue "le mâche-laurier" n° 12

 

Gabriella Sterne est née à Londres en 1966. Vit en Haute-Savoie.

Traductrice de E.Jabès, A. du Bouchet et J.Dupin, elle a publié en français "L'œil bande", 1996, ainsi que " Vif rapide, très rapide"( avec des dessins de Florence Farrugia ) aux éditions Ed.de, 1998