Jules Supervielle

Publié le 06/01/2023 à 07:36 par poeguy Tags : vie france image pari homme sur mer chevaux nuit monde

Troisième Montévidéen de la poésie française, après  Lautréamont et Laforgue, Supervielle partagea sa vie entre la France et les plantations familiales d'Uruguay. Orphelin très jeune - il resta hanté par l'image de la mère ravissante qu'il n'a pas connue - il fit ses études à Paris, au lycée Janson de Sailly et à la Sorbonne. Ce n'est qu'à 38 ans, après avoir publié plusieurs recueils, qu'il commença de faire entendre dans Débarcadères cette voix singulière qui est la sienne, musicale et familière, comme surgie du silence, complice des éléments, accordée à la respiration des bêtes, au souffle du vent, aux rêves et à l'inquiétude de l'homme. De Gravitations ( 1925 ) à l'Escalier ( 1956 ), il sut retrouver les émerveillements de l'enfance comme la simplicité des fables primitives.

 

RENCONTRES

 

                                                                                                      A G. Bounoure

 

J'avance en écrasant des ombres sur la route

Et leur plainte est si faible

Qu'elle a peine à me gravir

Et s'éteint petitement avant de toucher mon oreille.

 

Je croise des hommes tranquilles

Qui connaissent la mer et vont vers les montagnes ;

Curieux, en passant, ils soupèsent mon âme

Et me la restituent repartant sans mot dire.

 

Quatre chevaux de front aux œillères de nuit

Sortent d'un carrefour, le poitrail constellé.

Ils font le tour du monde

Pensant à autre chose

Et sans toucher le sol. Les mouches les évitent.

Le cocher se croit homme et se gratte l'oreille.

( Gravitations )

 

Jules Supervielle

( 1884-1960 )

" Gravitations "Poésie/ Gallimard.