Poésie ouverte

Son oeuvre, comme le fut sa vie, est éclatante et mystérieuse. Héritier d'une immense fortune, Roussel aima le luxe, voyagea beaucoup, préserva jalousement sa vie intime, et mourut en 1933 à Palerme d'un abus de drogue, peut-être volontaire. Lorsqu'en 1897,  à vingt ans, admirateur de Jules Verne et Hugo, il écrivait la Doublure, roman en vers, il éprouva dit-il, "une sensation de gloire universelle d'une intensité extraordinaire". L'insuccès lui causa un choc non moins violent, il continua d'écrire. Pourtant tous ses livres furent des échecs et les pièces, qu'il fit représenter à grand frais, des fours ou des scandales. Enfin les surréalistes, les premiers, osèrent défendre ses spectacles, admirer ses poèmes. Aujourd'hui son oeuvre fascine, qui ne doit rien au réel mais se présente comme une mécanique de l' imaginaire minutieusement agencée. Ainsi, dans la Source, un des trois poèmes de la Vue, Roussel examinant une étiquette, fait surgir tout un monde.

[...] Sur sa nappe est posée une haute bouteille

D'eau minérale en vogue ; on la vante, on conseille

Son usage abondant et surtout incessant

Sur un large papier d'un rose caressant

Entourant fixement la bouteille à sa base ;

Un dessin y figure où du monde s'écrase

Aux abords d'une source ; une donneuse d'eau

En tablier, ayant en guise de chapeau

Un nœud de ruban dans les cheveux, sert la foule ;

Elle tient par le fond un grand verre qui coule,

Tant il est plein de l'eau divine qui guérit,

La femme, en présentant le liquide, sourit,

Mettant une fossette à ses pommettes grasses.

Elle est habituée à faire force grâces,

Souhaitant avec des manières le bonjour

À tous les buveurs qu'elle abreuve tour à tour. [...]

Raymond Roussel ( 1877-1933 )

La Doublure, la Vue, Impressions d'Afrique, Locus Solus, Nouvelles Impressions d'Afrique, Pauvert.