Paul Valéry

Publié le 05/08/2022 à 06:34 par poeguy Tags : mort soi livre image homme monde sur air mer

L'aventure de Paul Valéry, qui, passé la cinquantaine, fut un grand poète reconnu, si reconnu qu'à sa mort en 1945, il eut les honneurs d'obsèques nationales, fut paradoxalement celle d'un esprit en constante lutte avec les choses et soi-même, cherchant toujours à définir d'une manière plus aiguë les règles de son propre fonctionnement et, par là, à reculer les limites du compréhensible. Aventure secrète donc. Elle se jouait chaque matin - et cela de 1896 à 1945, 257 cahiers l'attestent - depuis cinq heures jusqu'au moment où le poète était requis par les activités du jour, les emplois modestes, toujours occupés, de rédacteur de ministère, puis de secrétaire à l'agence Havas. Alors Valéry - rêvant que ces fragments constitueraient un jour la matière d'un livre, du Livre au sens mallarméen - notait ses pensées, transcrivait, analysait ses intuitions, sentiments et passions avec une rigueur d'expression qui n'était pas coquetterie mais arme de la lucidité. De cette exigence de clarté, un poème en prose des Cahiers ( 1910 ) donne l'image symbolique :

 

L'HOMME DE VERRE

 

Si droite est ma vision, si pure ma sensation, si maladivement complète ma connaissance, et si déliée, si nette ma représentation, et ma science si achevée que je me pénètre depuis l'extrémité du monde jusqu'à ma parole silencieuse ; et de l'informe chose jusqu'au désir se levant , le long de fibres connues et de centres ordonnés, je me suis, je me réponds, je me reflète et me répercuté, je frémis à l'infini des miroirs - je suis de verre.

 

Né à Sète, fils d'un fonctionnaire d 'origine corse, Valéry fit ses études de droit à Montpellier. Lorsqu'il se fixa à Paris en 1894, il avait déjà publié des poèmes dans des revues, s'était lié avec Pierre Louÿs et Gide, et correspondait avec Mallarmé dont il allait devenir le familier. Les poèmes de cette époque, qu'il réunit plus tard dans l'Album de vers anciens, dans leur perfection, l'influence du maître.

 

VUE

 

Si la plage penche, si

L'ombre sur l'œil s'use et pleure

Si l'azur est larme, ainsi

Au sel des dents pure affleure

 

La vierge fumée ou l'air

Que berce en soi puis expire

Vers l'eau debout d'une mer

Assoupie en son empire

 

Celle qui sans les ouïr

Si la lèvre au vent remue

Se joue à évanouir

Mille mots vains où se mue

 

Sous l'humide éclair de dents

Le très doux feu du dedans.

 

Paul Valéry

( 1871-1945 )

Œuvres complètes ( t. I ), Cahiers ( t. II ), la Pléiade / Gallimard