Maurice de Guérin

Publié le 24/12/2021 à 07:50 par poeguy Tags : vie mort sur monde nature annonce homme moi

Maurice de Guérin mourut, phtisique, à vingt-neuf ans. Sa vie s'était déroulée sous le signe de la quête ( il eut d'abord une vocation religieuse ) et fut traversée par plusieurs figures féminines : sa sœur Eugénie avec qui il entretint une correspondance passionnée, Marie de La Morvonnais, dont la mort en 1835 l'incita à un profond retour sur lui-même ( " Je suis avide de douleurs et de funestes savoirs ", dit-il alors ), enfin la jeune créole qu'il épousa peu avant de mourir. Son journal ( le Cahier vert ), commencé en 1832, au moment où il se détournait de la foi vers la poésie, dit sa difficulté d'être au monde, mais aussi sa découverte exaltée de la nature : " J'habite avec les éléments intérieurs des choses, je remonte le rayon des étoiles et le courant des fleuves jusqu'au sein des mystères de leur génération. " De telles lignes annoncent le sentiment cosmique de la nature qui anime ses poèmes en prose, le Centaure et la Bacchante.

 

LE CENTAURE

 

[...] L'usage de ma jeunesse fut rapide et rempli d'agitation. Je vivais de mouvement et ne connaissais pas de borne à mes pas. Dans la fierté de mes forces libres, j'errais, m'étendant de toutes parts dans ces déserts. Un jour que je suivais une vallée où s'engagent peu les centaures, je découvris un homme qui côtoyait le fleuve sur la rive contraire. C'était le premier qui s'offrît à ma vue, je le méprisai. Voilà tout au plus, me dis-je, la moitié de mon être ! Que ses pas sont courts et sa démarche malaisée ! Ses yeux semblent mesurer l'espace avec tristesse. Sans doute c'est un centaure renversé par les dieux et qu'ils ont réduit à se traîner ainsi. 

   Je me délassais souvent de mes journées dans le lit des fleuves. Une moitié de moi-même, cachée dans les eaux, s'agitait pour les surmonter, tandis que l'autre s'élevait tranquille et que je portais mes bras oisifs bien au-dessus des flots. je m'oubliais ainsi au milieu des ondes, cédant aux entraînements de leur cours qui m'emmenait au loin et conduisait leur hôte sauvage à tous les charmes des rivages.[...]

 

Maurice de Guérin

( 1810-1839

Oeuvres complètes ( 2 vol. ), les Belles lettres. M. Schärer-Nussberger, Maurice de Guérin, L'Errance et la Demeure, Corti.