La poésie aux poings: Arthur Cravan

Publié le 29/11/2021 à 07:25 par poeguy Tags : air place heureux sur cheval nature musique chevaux

                                     SIFFLET

 

   Le rythme de l'océan berce les atlantiques,

   Et dans l'air où dansent les toupies,

Tandis que siffle le rapide héroïque qui arrive au Havre,

   S'avancent comme des ours, les matelots athlétiques.

     New- York ! New-York ! Je voudrais t'habite !

        J'y vois la science qui se marie

            A l'industrie,

     Dans une audacieuse modernité.

        Et dans las palais,

               Des globes,

        Eblouissants à la rétine,

      Par leurs rayons untra-violets;

         Le téléphone américain,

               Et la douceur

          Des ascenseurs...

 

   Le navire provoquant de la Compagnie Anglaise

   Me vit prendre place à bord terriblement excité,

Et tout heureux du confort du beau navire à turbines,

      Comme de l'installation de l'électricité,

   Illuminant par torrents la trépidante cabine.

   La cabine incendiée de colonnes de cuivre,

Sur lesquelles, des secondes, jouirent mes mains ivres

De grelotter brusquement dans la fraîcheur du métal,

   Et doucher mon appétit par ce plongeon vital,

tandis que la verte impression de l'odeur du vernis neuf

   Me criait la date claire, où, délaissant les factures,

Dans le vert fou de l'herbe, je roulais comme un oeuf.

   Que ma chemise m'enivrait ! et pour te sentir frémir

A la façon d'un cheval, sentiment de la nature !

Que j'eusse voulu brouter ! que j'eusse voulu courir !

Et que j'étais bien sur le pont, balloté par la musique ;

Et que le froid est puissant comme sensation physique,

            Quand on vient à respirer !

  Enfin, ne pouvant hennir, et ne pouvant nager,

      Je fis des connaissances parmi les passagers,

  Qui regardaient basculer la ligne de flottaison ;

Et jusqu'à ce que nous vîmes ensemble les tramways du matin courir

Et blanchir rapidement les façades des demeures,   [ à l'horizon,]

   Sous la pluie, et sous le soleil, et sous le cirque étoilé,

Nous voguâmes sans accident jusqu'à sept fois vingt- quatre heures!

 

   Le commerce a favorisé ma jeune initiative :

Huit millions de dollars gagnés dans les conserves

   Et la marque célèbre de la tête de Gladstone

M'ont donné dix steamers de chacun quatre mille tonnes,

  Qui battaient des pavillons brodés à mes initiales,

   Et impriment sur les flots ma puissance commerciale.

     Je possède également ma première locomotive :

   Elle souffle sa vapeur, tels les chevaux qui s'ébrouent,

Et, courbant son orgueil sous les doigts professionnels,

   Elle file follement, rigide sur ses huit roues.

Elle traîne un long train dans son aventureuse marche,

  Dans le vert canada, aux forêts inexploitées,

   Et traverse mes ponts aux caravanes d'arches,

     A l'aurore, les champs et les blés familiers ;

Ou, croyant distinguer une ville dans les nuits étoilées,

     Elle siffle infiniment à travers les vallées,

   En rêvant à l'oasis : la gare au ciel de verre,

   Dans le buisson des rails qu'elle croise par milliers,

Où, remorquant son nuage, elle roule son tonnerre.

 

Arthur Cravan

( 1887-1918 )

Revue "Maintenant" n° 1